
Irvin Yalom « Et Nietzsche a pleuré » (1992), trad. franç. Clément Baude (2007).
L’auteur, Irvin Yalom, est écrivain et professeur de psychiatrie. Dans son livre, « Et Nietzsche a pleuré », il met en scène le philosophe allemand Nietzsche et le médecin viennois Joseph Breuer, l’un des fondateurs de la psychanalyse. Il s’agit d’une fiction, bien que les personnages aient existé et qu’ils aient été contemporains (leur rencontre n’a pourtant jamais eu lieu). L’auteur fait le récit de leur rencontre fictive, à Vienne, dans l’Empire austro-hongrois, en 1882.
Joseph Breuer, éminent médecin et clinicien réputé, s’intéresse à l’hypnose et ébauche ce qui deviendra, avec la psychanalyse naissante, la cure par la parole, et cela sous le regard du jeune Sigmund Freud. A la même époque, Nietzsche jeune philosophe inconnu du grand public a seulement publié Le Gai savoir et Humain, trop humain.
Le livre de Yalom s’ouvre sur un entretien où se noue l’intrigue : Breuer reçoit dans son cabinet la visite de la belle et impétueuse Lou Salomé, amie de Nietzsche. Celle-ci obtient de Breuer qu’il reçoive en consultation Nietzsche, de santé fragile, traversant une crise profonde de désespoir.
Au cours de la rencontre entre Nietzsche et Breuer, chacun se dissimule et se dévoile, évoquant tour à tour lors de leur conversation les thèmes de l’amour, la mort, la douleur, la maladie, la sexualité, la solitude, la liberté, etc. Au fil des rencontres, est scellé entre eux un pacte secret où les rôles se mélangent : on ne sait plus qui est le médecin et qui est le patient, chacun tentant de guérir l’autre. On assiste ainsi à une véritable partie d’échecs virtuelle entre deux grands esprits.
Irvin Yalom a l’idée originale de choisir la forme romanesque pour proposer une autre naissance de la psychanalyse et pour restituer la philosophie de Nietzsche à travers une fiction, une rencontre imaginaire entre Breuer, Nietzsche, Freud et Lou Salomé. De ce point de vue, le roman de Yalom, d’une lecture aisée, est une réussite : il captive le lecteur de bout en bout.
Mais, si l’idée est originale et le roman passionnant, on peut émettre certaines réserves à l’égard de la présentation de la philosophie de Nietzsche, à la veille de la rédaction de son célèbre Zarathoustra. Cette présentation donne lieu à quelques simplifications qui frôlent parfois le contresens : c’est le cas notamment de la présentation de l’éternel retour. Bien plus, l’auteur soutient qu’il est possible de psychanalyser Nietzsche. Or, ce dernier se fait une autre idée de l’inconscient qui n’est pas évoquée ici et qui aurait peut-être mis en échec une telle tentative ! Yalom met enfin dans la bouche de Nietzsche des propos farouchement scientifiques, alors que le philosophe est très critique à l’égard de la science.
Hormis ces réserves, le livre de Yalom est excellent : c’est un tour de force de parvenir à rendre accessibles et attrayantes des pensées puissantes et subtiles.
Bonne lecture !
Bernard